mardi 4 avril 2017

Le tragique destin d'Helier LEGOIX

Je vous propose aujourd'hui de passer les frontières de la Normandie pour nous intéresser au parcours militaire d'un soldat de la Grande Guerre, né à quelques kilomètres de là, à Wambez dans l'Oise, le 16 juillet 1889.

Registre Matricule LEGOIX
Extrait du Registre Matricule de Hélier Joseph LEGOIX - Recrutement de Beauvais, classe de 1909, Matricule 855

Au printemps de l'année 1910, Hélier Joseph LEGOIX passe, comme tous les jeunes hommes de son canton de Songeons, devant le Conseil de Révision. C'est là que les représentants du Prefet, des élus du canton et des autorités militaires déterminent, sur avis du médecin militaire, si tel ou tel conscrit est apte au service.

Registre Matricule LEGOIX
Extrait du Registre Matricule de Hélier Joseph LEGOIX
Après avoir mesuré sa taille et son poids et l'avoir examiné sous toutes les coutures, on ne trouva à Hélier qu'un petit défaut au lobe de l'oreille et un noevus dans le dos... Rien qui ne l’empêcha d’être déclaré « Bon pour le Service Armé ». Compte tenu de sa petite taille et de sa vigueur on estima même qu'il ferait probablement un bon chasseur à pied et on l'affecta au 8e Bataillon de Chasseurs à Pieds d'Amiens. Ses camarades furent quant à eux en majorité affectés au 51e Régiment d'Infanterie de Beauvais. 

Cocarde de Conscrit
Cocarde arborée par les conscrits
Probablement a-t-on fait la fête ce soir la à Songeons : le passage du Conseil de Révision donnait souvent lieu à la réunion de la fanfare, à un banquet dans un café, parfois même à l'organisation d'un bal ! Le photographe local venait immortaliser l’évènement. Sorte de rituel de passage à l'age adulte, être « bon pour le service » c’était aussi « être bon pour les filles » !

Hélier ne commença pas cependant son service militaire immédiatement : pour ne pas priver l'agriculture de la main d’œuvre nécessaire aux gros travaux des champs, les jeunes recrues n’étaient appelées à rejoindre leur régiment qu'à l'automne.
C'est donc le 4 octobre 1910 qu'il commença son instruction militaire, au bas de l'échelle, chasseur de 2e classe à la citadelle d'Amiens.


Citadelle d'Amiens - caserne du 8e Chasseur
Carte Postale : Citadelle d'Amiens, Caserne du 8e Chasseur

Il passe chasseur de 1ere classe le 1er avril 1912.
Le 25 septembre 1912 il est « envoyé dans la disponibilité », autrement dit libéré du service militaire. A cette occasion on lui accorde un certificat de bonne conduite stipulant qu'il « a tenu une bonne conduite pendant le temps qu'il est resté sous les drapeaux, et qu'il a constamment servi avec honneur et fidélité » (ce certificat était délivré à l'immense majorité des jeunes soldats, seul ceux ayant eu une punition supérieure à 8 jours de prison régimentaire se le voyaient en théorie refusé).

 
Revenu à la vie civile Hélier se marie à Ferrieres en Bray (76) le 29 novembre 1913 avec Julia Aimée CANU.

Le 1er août 1914, la Mobilisation Générale est décrétée. Dès le lendemain, Hélier arrive à la citadelle d'Amiens (1). C'est là qu'il apprend la déclaration de guerre le 3 août ; là aussi qu'il effectue une brève période d'exercices et de préparation et qu'il reçoit armes et bagages avant d’être envoyé au combat le 12 août.

 
Le bataillon rencontra pour la première fois l'ennemi le 20 août à Beuveille (54) et tenta de lui barrer la route à Arrancy (55) avant d’être contraint de se replier vers Verdun, à 40 km de là, où il embarquera en train, accomplissant, à l'image de toute l'armée française un gigantesque repli.


Bataille de Saint Gond
Carte Postale : Bataille des Marais de Saint Gond

Le 4 septembre, cependant, Joffre ordonne de cesser ce repli et de faire face : « Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer » ! Cette proclamation est accueillie avec joie par les soldats pour qui la retraite une est vraie souffrance morale ! La Bataille de la Marne s'engage.
Le 8e BCP (Bataillon de Chasseurs à Pied) combat alors dans les Marais de Saint Gond (51) puis à La Villeneuve, Soizy aux Bois, le bois de Botrait et Mondemont. Accompagnant le recul allemand, il gagne Aubérive sur Suippes et arrive le 28 septembre dans le secteur de Reims.

 
Fort de cette première victoire le bataillon quitte Reims le 21 octobre et à l'issue de 48 heures de chemin de fer est débarqué dans le secteur de Nieuport en Belgique, sur les rives de la Mer du Nord, pour prendre part à la Bataille de l'Yser dans le but d’empêcher les Allemands d'atteindre la cote. Tandis que l'armée belge a l'idée d'inonder ses terres pour en chasser l'ennemi, le 8e BCP s'illustre à Kloosterhock et Pervyse et le 2 novembre entre dans Dixmude. Là au coté des Fusiliers Marins, il s'élance à l'assaut du château défendu par les mitrailleuses allemandes.



Dixmude en 1914
Dixmude en 1914

Extrait du journal de Marches et Opérations du 8e Chasseur :

« 2 novembre : [...] 11h arrivée au cimetière de Dixmude occupé par les fusiliers marins. Attaque dirigée immédiatement (2e compagnie) sur le château ; attaque bientôt enrayée par des feux de mitrailleuses venant de la lisière du bois entourant le château. La situation reste la même jusqu’à 17 heure. Le bataillon est massé partie dans le cimetière dont la lisière est garnie, partie en arrière dans des tranchées abris. A la tombée de la nuit la 2e compagnie reprend le mouvement en avant et construit une tranchée en avant du cimetière. Une section de cette compagnie arrive a progresser jusqu'à une ferme qui est mise en état de défense.
3 novembre : Travaux de fortification jusqu'au lueur du jour. Le matin nouvelle attaque sur le château. La 2e compagnie en avant du cimetière, la 6e dans le prolongement vers la gauche, la 4e derrière le cimetière, la 3e derrière la 6e. Préparation d'attaque par l'artillerie lourde. L'attaque dirigée de nouveau contre le château reste sans résultat. Le soir la situation reste telle qu'elle était au levée du jour.
4 novembre : Prise de commandement du Commandant Clavel rentrant de convalescence. La journée est employée à faire glisser les hommes individuellement sur la face ouest du château par un ruisseau peu praticable. Dans la soirée, l'attaque dirigée sur ce nouveau front ne donne pas plus de résultats que les précédents. » 

C'est dans cet assaut qu'Hélier recevra sa première blessure : « Plaie au coté gauche par shrapnel ». L' « obus à balles » (ou shrapnel du nom de son inventeur) était largement utilisé à l'époque. En éclatant en vol, il libérait des balles métalliques sur le même principe qu'une cartouche de plombs.
Hélier fut donc évacué pour être soigné. Malheureusement aucun document n'a pu être retrouvé sur cet évacuation et cette convalescence. Sorti de l’hôpital, Hélier rentre au dépôt le 13 décembre 1914. Depuis le début de la guerre, le dépôt du 8e BCP, a quitté Amiens pour Luçon (2). Hélier y restera jusqu'au 3 février 1915, date à laquelle il fut renvoyé dans son bataillon, alors au repos.


8e Chasseur à Luçon
Carte Postale : Le 8e Bataillon de Chasseur à Pied à Luçon, dans l'attente du départ


Renvoyé au front en Argonne au mois d'avril, le 8e BCP participe aux combats de Maizeray, La Gruerie, le Four de Paris et Bagatelle. C'est lors de ce combat de Bagatelle qu'Helier fut une deuxième fois blessé « par éclat de bombe, au bras droit ». 


Extrait de l'Historique Régimentaire du 8e Chasseur
Extrait de l'Historique Régimentaire du 8e Chasseur : Argonne, Avril 1915

Brièvement soigné dans une ambulance installée à proximité immédiate du front, Hélier est aussitot que possible évacué à l’hôpital temporaire de Tauzé ou Cauzé (3) où il arrive le 13 mai. Passé au dépôt de convalescents d'Agen fin juin ou début juillet 1915 (4), il obtient une permission de 7 jours, avant de rentrer au dépôt du 8 BCP à Luçon le 11 juillet.
  
Parti aux Armées le 2 octobre, Hélier rejoint son bataillon quelques jours plus tard au camps de Mourmelon où le 8e BCP viens d’être mis au repos pour quelques semaines.

 
Le 25 décembre il est renvoyé au front. L’hiver se passe sans accident majeur. L'absence de combat ne fait cependant pas oublier les très dures conditions de vie dans les tranchées.



Extrait de l'Historique Régimentaire du 8e Chasseur
Extrait de l'Historique Régimentaire du 8e Chasseur : Noel 1915

Le 11 mars, le 8e BCP est envoyé dans le secteur de Verdun, à Thiaumont. Il y restera 20 jours avant d’être relevé.


Extrait de l'Historique Régimentaire du 8e Chasseur
Extrait de l'Historique Régimentaire du 8e Chasseur : Thiaumont, Mars 1916


 







Le 31 mars le bataillon est envoyé en camion à Bar le Duc ou il profite d'une semaine de repos. Le 2 avril il reçoit son nouveau chef : le commandant Savornin. Le 5 Hélier est promu caporal : il supervise désormais une escouade d'une quinzaine d'hommes.
  
 
Le 7 avril le 8e BCP retourne au front ou il participe le 9 et le 10 à la défense du Mort Homme.






  



















Le 9 avril fut malheureusement encore l'occasion d'une blessure grave pour Hélier LEGOIX : « blessé par éclat d'obus, plaies région sacro-lombaire ». Il n'arrivera que le lendemain à l'ambulance de Chaumont sur Aire avant d’être transporté le sur-lendemain à hôpital central de Bar le Duc. La blessure est grave et la convalescence va être longue : 

  • 29.04.1916-17.08.1916 : Hôpital complémentaire du Panthéon, 18 rue Lhomond à Paris ;
  • 17.08.1916-07.10.1916 : Hôpital auxiliaire N° 27 à Rosny Sur Seine ;
  • 07.10.1916-16.10.1916 : Centre Spécial de Réforme de Clignancourt ;
  • 16.10.1916-19.12.1916 : en permission pour poursuivre sa convalescence chez lui ;
  • 19.12.1916-25.12.1916 Dépôt du 8e BCP à Luçon ;
  • 25.12.1916-01.02.1917 : Hôpital auxiliaire N° 27 à Rosny Sur Seine ;
  • 01.02.1917-08.02.1917 : Centre Spécial de Réforme de Clignancourt ;
  • 08.02.1917-04.05.1917 : Dépôt du 8e BCP à Luçon ;
  • 04.05.1917-25.05.1917 : Hôpital Mixte de Luçon ;
  • 25.05.1917-28.09.1917 : Hôpital Complémentaire N°61 à Saint Laurent sur Sevre ;
  • 28.09.1917-27.11.1917 : Dépôt du 8e BCP à Luçon.

Le 19 octobre il passe devant la Commission de Réforme de la Roche sur Yon, et, compte tenu des séquelles de ses multiples plaies, il est « classé service auxiliaire apte à servir aux Armées ». Le 27 novembre, il est réaffecté au 3e Régiment d'Artillerie à Pieds.


Fort de Taillefer à Belle Ile en Mer
Fort de Taillefer à Belle Ile en Mer



 
Promu Maréchal des Logis le 1er février 1918 il est envoyé à Belle Ile en Mer. Au fort de Taillefer, à la pointe nord de l'ile, il est chargé de la surveillance des cotes.





 

L'Avenir du Morbihan 23 novembre 1918
Extrait de l'Avenir du Morbihan du 23 novembre 1918


Fin tragique, le 11 novembre 1918, Hélier Legoix décède lors de l'explosion accidentelle de son canon avec lequel il s’apprêtait à tirer une salve d'honneur pour fêter la fin de la guerre ! Deux canonniers servants furent eux aussi tués (5), d'autres furent blessés.



Monument aux Morts de Wambez
Monument aux Morts de Wambez et plaque commémorative de l’église de Wambez

 
A Wambez, le nom figure d'Hélier LEGOIX figure sur le Monument aux Morts et sur une plaque commémorative dans l'église.


Fiche Mort pour la France - Ministère de la Défense


1. En mai 1913, le 8e BCP avait été envoyé en garnison à Etain mais avait cependant gardé Amiens comme centre de mobilisation.
2. Amiens était situé à proximité immédiate du front et avait même était brièvement occupé en septembre 1914. Cette situation rendait impossible le maintien d'un dépôt militaire.
3. La lecture du registre matricule n'a pas permis de déterminer la graphie exacte de ce lieu qui n'a pu, par conséquent, être déterminé précisément.
4. Le registre matricule et le registre des malades du
dépôt de convalescents d'Agen ne s'accordent pas sur sa date d'admision. Il est cependant fort probable qu'il n'y resta qu'une seule journée : la derniere de juin ou la premiere de juillet.
5. Laurent DESLANDES (né le 25 juin 1883 à Plumergat) et François PENDEVEN (né le 9 janvier 1877 à Plouay)




Si vous souhaitez me confier une recherche sur la carriere militaire d'un soldat de la Guerre 14-18 : consulter la page Prestations et Tarifs.



1 commentaire:

  1. Bonjour Antoine, bravo pour tes recherches, je retrouve Helier dans notre arbre généalogique par sa femme Julia Aimée Canu, la grand mère de Pascal étant une demoiselle Canu dont la famille est originaire de Ferrieres. Je présente de mon côté une exposition ce samedi 10 dans l'Eglise de Fontenay sur le monument aux morts de la commune. D'autre part j'ai fait quelques recherches sur le monument aux morts de Grémévillers (60) et j'ai retrouvé 2 soldats qui ne figurent sur aucun monument, des demarches vont être faites pour leur rendre hommage. Bonne continuation.

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