vendredi 16 mars 2018

Parrainages Impériaux

Pour leurs enfants nos ancêtres choisissaient souvent les parrains et marraines dans la famille proche selon une certaine logique : les grands-parents pour les ainés, puis les oncles et tantes pour les cadets et, enfin, les frères et sœurs pour les benjamins.

Pour peu que les parents soient attachés à leur service, il n'est pas rare que des enfants, nés dans des familles modestes, aient pour parrain ou marraine des personnes de qualité : seigneurs, notables, prêtres... Ces parrainages sont recherchés et sont sources de fierté pour les familles car l’enfant recevait, au moment de son baptême, parrain et marraine comme autant de bienfaiteurs : on espère pour l'enfant une protection sociale ou professionnelle ou simplement des avantages matériels (on n'oublie jamais de mentionner son filleul sur son testament...)

Certains enfants reçoivent même un parrainage impérial ! Sur le seul département de la Seine Maritime on en compte 83...

Le 18 mars  1856, l’Empereur Napoléon III décide qu’il serait Parrain, et l’Impératrice Marraine de tous les enfants nés en France le 16 mars, soit le même jour que leur enfant, le Prince Impérial, Napoléon Eugène Louis Jean Joseph Bonaparte.

Après une longue nuit d’attente, le prince impérial voit le jour. Les parisiens, assemblés devant les Tuileries, comptent les coups de canon et au 22ème laissent exploser leur joie : "c'est un garçon !!". Le télégraphe transmet aussitôt la nouvelle partout en province où elle suscite une grande ferveur. Fixé au 14 juin 1856, le baptême de l’héritier du trône, dont le parrain n’était autre que Pie IX, fut célébré en grande pompe à Notre-Dame de Paris. Une fastueuse cérémonie qui fit dire à Napoléon III : « Ce baptême vaut bien un sacre » !

Le dimanche 15 juin 1856, lendemain du baptême du prince impérial, les festivités s'étendent à la province. A Rouen, des salves d'artillerie sont tirées, les édifices publics, les bateaux présent au port et même les maisons particulières sont pavoisés du drapeau tricolore. Les Rouennais peuvent assister à la revue des troupes et de la garde nationale sur le Grand Cours ou profiter gratuitement des représentations données au Théâtre Français et au Cirque. A la nuit tombée, un feu d'artifice est tiré sur le Champ de Mars et les édifices publics sont illuminés. Quant aux malheureux que la ville compte, ils bénéficient d'une distribution de secours.

Les familles qui souhaitent réclamer l’illustre parrainage, ont un mois pour adresser leur demande  accompagnée d'un extrait d’acte de naissance. Seule condition : que l'enfant soit issu d'un mariage légitime ! 

La demande acceptée, chaque filleul impérial reçoit, par l'intermédiaire du Maire, un Brevet signé par le Ministre d'Etat. Son acte de naissance est modifié : on lui ajoute le prénom de l'une de ses altesses impériales : Napoléon, Eugène ou Eugénie, Louis ou Louise...

L’Empereur souhaite que chaque année, un crédit soit distribué en secours des parents les plus nécessiteux. Pour se faire, au mois de janvier de chaque année, les maires des communes où vivent les filleuls impériaux, font remonter au Préfet, un état nominatif précisant la situation des familles : difficultés financières, maladie ou décès d'un parent... sans oublier bien sur de mentionner leur bonne conduite et leur bonne moralité, ou non !

Lors de leurs déplacements l'Empereur et l'Impératrice sont parfois présentés à leurs filleuls. En Bretagne, à Miniac, "leurs Majestés se voient présenter un jeune enfant, et on leur dit qu'il est né le même jour et à la même heure que le Prince Impérial. L'Empereur prend son filleul dans ses bras et l'embrasse avec bonté, au milieu des cris d’enthousiasme indicibles de la foule électrisée." (1)

Même après la chute de l'Empire en 1870, le décès de l’Empereur en 1873 et celui du Prince Impérial en 1879, l'Impératrice Eugénie, exilée en Grande Bretagne, reste attentive au destin de ses filleuls. Jusqu'à sa mort en 1920, elle compulse de temps à autre les fiches classées par ordre alphabétique de chacun d'entre eux, qui parfois continuent à lui faire parvenir des demandes d'aide.



Au Mesnil Esnard, Constant Romain RAULT, ouvrier en imprimerie d'indiennes, fait une demande de parrainage impérial pour son fils Arthur Alphonse, né le 16 mars 1856.


Arthur Alphonse RAULT, filleul impérial, voit son nom modifié en Napoléon Arthur Alphonse RAULT en hommage à son illustre parrain.


En mai 1856, le maire du Mesnil Esnard transmet son enquête sur la famille RAULT : "le nommé RAULT est un honnête ouvrier de fabrique dont le salaire s'élève à environ 2 francs par jour. Sa femme est couturière à la journée à raison de 1,25 francs. Ils ont deux enfants, un premier et l'autre né le 16 mars 1856. Les antécédents des époux sont en leurs faveurs. L'enfant n'est pas encore baptisé".

Dans son courrier du 8 novembre 1856, le maire informe le Préfet qu'il a remit le brevet le 3 novembre 1856 aux parents du jeune protégé.

A partir de 1857, c'est le maire de Belbeuf, où la famille réside dorénavant qui informe le Préfet de la situation de la famille. 

Note de renseignement fournie au Préfet en 1859 par le Maire de Belbeuf au sujet de la famille RAULT.

En 1861, il note "Comme le père de cet enfant ne possède ni bien, ni revenu, qu'il n'est qu'un simple journalier et qu'il n'a que le fruit de son travail pour subvenir aux besoins de sa famille, j’espère, Monsieur le Préfet, que vous voudrez bien l'admettre cette année dans vos propositions de secours." La famille RAULT reçoit alors une aide de 100 francs (soit l’équivalent d'un mois et demi de son revenu habituel).

Après un nouveau déménagement c'est le Maire de Blosseville Bonsecours qui en 1868 renseigne le Préfet. 

Napoléon Arthur Alphonse RAULT, décède le 30 novembre 1886, à l'age de 30 ans. Il est alors  célibataire et exerce la profession de plâtrier. 


Au Havre, des jumeaux obtiennent l'auguste parrainage.

Dans sa lettre au Préfet, du 27 mai 1856, le Maire donne des renseignements sur la moralité, les antécédents, les ressources, les charges de famille et le degré d'intérêt de plusieurs familles havraises qui prétendent au parrainage impérial : "Le sieur BUNEL est de bonne vie et mœurs, il est ouvrier tonnelier et n'a pour toute ressource que le salaire de sa journée, il a quatre enfants à sa charge, deux sont nés le 16 mars dernier, un garçon et une fille."

Le nom de Victor Aimé Napoléon BUNEL, dont le 3ème prénom rendait déjà hommage à l'Empereur, devient tout de même Eugène Louis Victor Aimé Napoléon BUNEL. Quant à sa sœur Irma Hélène Berthe BUNEL on la prénomme désormais Eugénie Louise Irma Hélène Berthe.

En 1858, le Maire informe le Préfet du décès d'Eugène Louis Victor Aimée Napoléon  BUNEL, le 3 août précédent. Il indique également que la famille se trouve dans une situation précaire et qu'une nouvelle naissance se prépare.
 
Par une lettre, du 14 mars 1859, le Ministère de l’Empereur informe le Préfet de la liste des crédits accordés, la famille BUNET reçoit la somme de 100 Francs.
 
En janvier 1863, le Préfet apprend qu'Eugénie Louise Irma Hélène Berthe BUNEL est décédée le 7 juillet 1862. Tout comme son père le 14 septembre. Un secours est demandé pour sa veuve restée, dans la misère, avec sa mère et ses deux autres enfants.





Peut être avez vous, vous aussi, un ancêtre placé sous le parrainage impérial !



 1. Albert Mansfeld, Napoléon III, 1863


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